La légende des Maries
Pendant un photo tour, ici on y retrouve le calme et les paisibles activités des autres îles.
Ici, les touristes sont rares, les Vénitiens des autres sestieri n’ont aucune raison d’y venir. Pourtant, pendant un photo tour, ici on y retrouve le calme et les paisibles activités des autres îles, seulement troublés par les cris d’enfants s’amusant autour d’une vieille barque ou les battoirs des lavandières. L’église de San Pietro, commencée au VIIIeme siècle, a été la cathédrale de Venise jusqu’en 1807. Elle a subi de nombreuses restaurations. Devant la façade exécutée à la fin du XVIeme siècle selon un dessin de Palladio, sa sévérité en témoigne, un campo d’herbes folles cache quelques vieux puits. Pour un instant, l’ombre des platanes sur cette pelouse sauvage nous délasse de cet univers aquatique et minéral : hormis quelques campi ou quelques jardins retirés, Venise a peu d’arbres, à peine du gazon. Cette émeraude n’en est que plu attirante tant son contraste est grand devant la froide majesté des marbres trop pâles. Comme les patriarches de Venise ont bien fait de quitter ce trop vaste sépulcre que les mariages populaires, qui se suivent rapidement le dimanche matin, peuvent à peine égayer. L’interieur du sanctuaire est chargé des pompes de l’art classique et de peintures figées sous un énorme baldaquin doré. Un trône portant des inscriptions arabes, le prétendu siège de saint Pierre lui-même, semble oublié dans cette église où les œufs en neige rivalisent dans leur ascension avec les crèmes à la glace, ces gelati réputés; elle n’est pas la seule à Venise.
Mais. Dehors, rayonnant de soleil sur le ciel, à midi plus foncé, s’élève le campanile solitaire, légèrement penché dans son aube de pierre d’Istrie. Face à la passe du Lido, au-dessus de la Certosa, il servait de phare aux navires qui pénétraient dans la lagune et se dirigeaient vers le port. Bien que d’autres auteurs la situent à Torcello, c’est sans doute l’île de San Pietro, tournée vers le large, qui a été le théâtre d’une aventure singulière, dont le souvenir se répète dans la légende des Maries.
A la fin du Xeme siécle, était-ce sous l’autorité du Doge Pietro Candiano II, la Sérénissime unissait les jeunes gens le 31 janvier,anniversaire de la Translation du corps de saint Marc. A l’issue de la cérémonie, alors que le cortège des nouveaux époux sort de l église au milieu des applaudissements des invités, des clameurs se font entendre : une bande de Narentans – pirates de l’Adriatique– profitant de la situation, se précipitent sur les jeunes mariées, les enlèvent et s’emparent des présents qui venaient de leur être offerts. Mais les Vénitiens, loin de se laisser impressionner, se lancent à leur poursuite et, à leur tour, attaquent les ravisseurs par surprise au moment où ils s’apprêtaient à partager leur butin. Ils n’eurent pas le temps d’en profiter et les vainqueurs s’en retournèrent, ayant récupéré femmes et bijoux à la pointe de l’épée ; cette terrible journée s’acheva dans l’allégresse et les noces enfin célébrées. Mais il fallait commémorer l’incident et pendant longtemps, le 2 février, jour de la Purification de la Vierge, une fête réunissait les douze plus belles filles de la cité suivies d’une foule joyeuse à San Pietro di Castello. Après la bénédiction du patriarche, la procession traversant la ville en gondoles, précédées par le Bucentaure, s’arrêtait au Rialto pour retrouver le doge à Santa Maria Formosa. Le curé de cette paroisse, selon la tradition, lui présentait un chapeau de paille pour se préserver contre la pluie, une douzaine d’oranges et des bouteilles de malvoisie pour la soif : sa seigneurie ne devait pas l’air de s’être dérangé pour rien au temps de la Sérénissime, l’autorité comme le peuple, jouant d’ironie, savaient ne pas se prendre au sérieux, ce qui n’empêchait ni l’un ni l’autre de tenir son rang et, mieux encore, d’accomplir sa tâche.